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- Allo ? Claire tu es en route j’espère. Juste ce petit message pour te dire que je suis installé aux Editeurs et que je t’attends au fond de la salle à côté de l’horloge. Je te commande un chablis ? je crois que tu en auras bien besoin. A tout de suite ma DRH adorée !
C’est un message de Pierre, je suis déjà là mais il ne me voit pas encore, le temps est suspendu, je le regarde confortablement installé dans son fauteuil rouge en train de consulter ses mails. Il est beau, j’ai des gazouillis dans le ventre, je ne sais pas trop ce qu’il m’arrive, puis-je encore tomber amoureuse à mon âge ? Tiens, il lève les yeux pour saluer un homme qui lui tend la main.
J’attends que son interlocuteur s’éloigne, c’est un journaliste, je le connais de vue. Il va vouloir interviewer Pierre car ils échangent leurs numéros de téléphone. C’est drôle de les observer d’ici.
- bonjour, Madame, comment allez vous ? Je vous installe à votre table habituelle ?
- Bonjour Julien, non merci je suis attendue, là bas sous l’horloge.
- Ah oui le Chablis c’est donc pour vous, je vous l’apporte de suite comme vous l’aimez.
En ce début de soirée, beaucoup de monde et quelques habitués que je connais de vue.
- Claire, comment vas tu je viens de te laisser un message et tu es là, c’est bon de te retrouver.
Cette chaleur, ce parfum, la douceur de sa main sur ma joue je resterais là le temps d’une vie.
- Oui je te regardais discuter avec Paul B. du journal social.com, il est assez pertinent. Il m’a interviewé plusieurs fois quand j’étais DRH dans une autre société.
- Il me disait qu’il m’entendait régulièrement à la radio ces jours-ci et qu’il voulait approfondir mes analyses notamment sur le fait que le gouvernement était un peu pauvre dans ses mesures sociales. Il est en train d’écrire un article sur le sujet. On a rendez-vous en fin de semaine. Tu te rends compte j’ai appris les futures réformes sur la sécurité sociale dans la presse de ce soir tout en lisant l’interview de la Ministre. J’ai appelé son directeur de cabinet j’étais furieux, c’est çà le dialogue social du Président de la République ? Je crois que çà va être sportif !
C’est la première fois que je suis avec Pierre dans un lieu public. Certains clients le saluent, d’autres passent à côté de lui en essayant de mettre un nom sur ce visage vu à la TV... Enfin certains montrent ouvertement leur désapprobation. Comme ça doit être pénible au quotidien !
- Ce foulard fait ressortir tes yeux bleus à merveille et ce doux parfum ... parfum confidentiel pour une femme d’exception, je ne connais pas.
- Sacre Bleu de chez Nicolaï, tu aimes ? je le porte l’hiver, l’été j’en ai un autre aussi merveilleux.
Je suis nerveuse mais si heureuse. Cette rencontre avec Pierre est si inattendue depuis mon divorce il y a 5 ans.
Je suis en train de tomber amoureuse comme une adolescente, mais c’est si bon de se sentir belle dans le regard d’un homme.
Et il y a eu cette table ronde au CESE…un vrai coup de foudre. Ce qui est fou c’est que nous nous connaissons pourtant depuis des années… pourquoi ce regard différent ce jeudi là ?
- Claire, tu rêves ?
Qu’il est beau avec sa chemise blanche et ce jean noir. Il a eu le temps de passer chez lui ou il était comme çà toute la journée ? J’en serais presque jalouse de l’imaginer entouré de nombreuses femmes chaque jour ?
- Désolée, je suis un peu fatiguée et surtout énervée par un mail d’un syndicaliste juste avant de partir comment font-ils pour être si pénibles ? Ils sont tous formés à une même école pour embêter leur DRH ?
Le regard amusé de Pierre me fait fondre et à l’instant j’oublie vite Frédéric Julien. Je tends la main et il la porte à ses lèvres et y dépose un baiser des plus romantiques.
Il n’y a plus que lui et moi dans cette foule. Le maître d’hôtel qui me connait depuis des années mais en « mode » seule s’avance pour me servir le chablis et repart discrètement, rien n’existe d’autre à cet instant.
-J’aime l’ambiance cosy de cette brasserie. J’ai écrit des heures ici, j’ai travaillé des dossiers compliqués, j’y ai invité des amies, j’y ai déjeuné avec mes enfants, ma sœur. C’est un peu ma deuxième maison, la première n’est qu’à 100 mètres c’est commode, et toi tu aimes ?
- Oh oui, je ne connaissais pas mais si on y restait diner ? Regarde il y a un plat qui te plairait sur l’ardoise, je me trompe ?
Je le regarde étonnée. Comment sait-il que j’adore le foie de veau ? Mystère…Julien le maitre d’hôtel ?
- Et toi ta journée ? Des syndicalistes pénibles aussi ?
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- bonjour Isabelle, je suis en retard ce matin, 9h30 déjà ! vous dîtes à tout le monde qu’on se retrouve dans la salle de réunion ? On est dans quelle salle au fait ?
- La 2, je l’ai réservé toute la matinée mais Laure souhaite vous voir 5 mn, je lui dis de monter ?
- Oui, je vais d’abord me chercher un café, vous en voulez un ?
La machine à café est comme dans toutes les entreprises, un lieu stratégique. Tout le monde y passe et on y apprend toujours beaucoup de choses, vraies ou fausses. Il y aurait beaucoup à dire sur la rumeur, mais ici je suis gâtée.
- Bonjour Claire, vous avez l’air en forme mais comment faîtes vous pour dégoter des bijoux comme celui là ? C’est une pièce unique ? Il vous va à ravir.
- Merci Julie, c’est une jeune créatrice que j’ai découverte dans un magasin éphémère en face de Beaubourg il y a quelques années, j’adore dénicher des talents comme au travail ! Au fait, nous allons vous présenter trois candidats en short list, pour le poste de juriste en droit des affaires. Le service juridique sera au complet après ce dernier recrutement…enfin je croise les doigts.
Julie est une cheffe de service exigeante et elle a du mal à garder ses juristes. Le service recrutement de Laure a depuis mes 6 mois chez Medical Services Group déjà recruté 3 juristes pour le service. Il faut que je regarde de plus près car ce turnover est bizarre. J’ai l’impression que Julie ne sait pas trop ce qu’elle souhaite comme profil, ou si … un junior avec beaucoup d’expérience… ils sont terribles ces managers.
Je remonte dans mon bureau en saluant les uns les autres.
- bonjour Claire, comment allez vous ?
Laure est une jeune femme très souriante avec qui j’ai un vrai plaisir à travailler, elle se pose toujours des questions invraisemblables, çà me fait rire. Il faut qu’elle acquiert plus de confiance en elle d’autant plus qu’elle réussit très bien.
- Ces bi-latérales hier ? Frédéric Julien est passé me voir pour m’interroger sur nos actions pour le recrutement des médecins. Enfin il est surtout passé pour me transmettre la candidature de l’ami de sa fille qui cherche un contrat d’alternance pour un bachelor marketing dès janvier c’est à dire dans un mois. … Je lui ai dis que je voyais cela avec le département concerné mais je connais la réponse d’Alexandre.
- Vous vouliez me parler ? car nous allons devoir aller en réunion ?
- Je voulais vous dire que ….
- Oui Laure ?
- J’attends un bébé pour le mois de Mai…
- Quelle bonne nouvelle, toutes mes félicitations, deuxième bébé à la DRH cette année ! Mais pourquoi ce stress, je ne vais pas vous manger vous ne m’annoncez pas une catastrophe.
- Mais c’est que Julie part déjà en congé maternité dans un mois et si tout va bien je m’arrêterai en Mars.
- Ne vous inquiétez pas, c’est dans l’ordre des choses, nous allons recruter votre remplaçante suffisamment tôt pour que vous la formiez et que vous partiez sereine! Vous savez en ayant une dizaine de jeunes femmes à la DRH, je suis bien consciente que les bébés vont arriver, moi même j’ai eu des enfants vous savez ?
Je lui lance un clin d’œil et je la vois se détendre. C’est fou cette pression qu’elle s’était mise, je la soupçonne même de ne pas avoir dormi de la nuit, tellement elle a les traits tirés.
C’est avec un grand sourire qu’elle quitte mon bureau et je la vois discrètement sortir son téléphone de sa poche pour rassurer le futur papa…je suppose.
Tous ces bébés me font penser que nous allons devoir faire de petits rappels. Il semblerait que certains de nos managers, en entretien de recrutement, posent encore des questions comme « pas de bébé tout de suite n’est-ce pas » ? Totalement discriminatoire même si je me doute bien la raison de ces questions …
C’est Sylviane Kergoat qui m’a indiqué qu’une de nos managers posait systématiquement cette question à la fin de l’entretien d’embauche qu’elle réalisait pour les animatrices de magasins. Il y a encore du chemin à parcourir y compris pour nos responsables femmes !
Toute l’équipe est au complet ce matin. Café, viennoiseries au programme, dans cette DRH j’ai l’impression qu’on mange sans arrêt, le gâteau pour l’anniversaire de l’un, les bonbons pour se remonter le moral et les spécialités de retour de vacances. J’ai déjà pris deux kgs depuis mon arrivée. Je dois faire attention… Pierre n’aime certainement pas les rondes… enfin moi je ne m’aime pas ronde non plus.
- l’ordre du jour est chargé mais je souhaite en premier lieu faire un point sur les priorités de la DRH dans les prochaines semaines car je sens que nous allons tous être rapidement sur-bookés avec les multiples projets. Vous devez réguler votre activité. Ce n’est pas au département des Opérations, qui est « notre client interne », de le faire. Vous devez savoir dire NON parfois ou donner des échéances.
Je perçois des regards inquiets se braquer sur moi.
- Si on les écoute tout est urgent avec eux, vous le savez bien me lance Emilie.
- C’est pour cela que je vous demande de venir me voir en cas de problèmes.
Je ne dis pas cela tout à fait par hasard. Je vois Jules s’agiter sur sa chaise et devenir tout rouge, il n’est pas à l’aise avec l’affaire de la formation montée en urgence il y a 15 jours sur l’accueil client.
- Jules, pouvez-vous nous faire part de votre expérience sur la formation demandée d’urgence par le dr Durand ? C’est un bon exemple. Mais ne vous inquiétez pas çà aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous.
- Heu… et bien vous savez qu’on arrive à la fin de l’année et certains responsables s’aperçoivent qu’il reste plein de budget à dépenser avant décembre. Le Dr Durand a identifié une formation à l’accueil téléphonique pour ses opérateurs surtout parce qu’il y a beaucoup de plaintes de patients insatisfaits lors de la prise des rendez-vous. Enfin je crois en plus qu’il a eu la pression de Philippe Couturier pour redresser le taux de satisfaction et c’est comme çà qu’il est venu me voir super stressé… et son stress il me l’a passé je peux vous le confirmer.
Tout le monde éclate de rire car Jules est déjà hyper stressé par nature.
- Il voulait organiser une formation dans les 15 jours suivants… il avait déjà organisé le planning… et … le problème c’est que j’ai décidé de laisser de côté le bilan de formation pour la réunion du CSE et résultat je n’ai pas été dans les délais pour rendre le doc. Claire n’était pas contente et à juste raison.
Je souris en l’écoutant, « Claire n’était pas contente », c’est vrai que j’ai volontairement marqué le coup ce n’était pas la première fois qu’il ne respectait pas ses délais.
- Eh oui en voulant répondre au dr Durand, Jules a insatisfait les élus du CSE… enfin là n’est pas la question mais vous voyez que la désorganisation de certains nous désorganise nous et je peux vous dire que les élus ne m’ont pas loupé et devant Philippe Couturier qui, comment dirai-je, à bien aimer me voir en difficulté. En ce moment il se fait un plaisir de ne rien laisser passer à la DRH…Et le comble c’était que notre retard lui était imputable. Soyons vigilants et sollicitez moi, même si vous n’avez pas l’habitude de fonctionner comme çà ! c’est notre crédibilité qui est en jeu.
Avant que je n’arrive, le service du « personnel » était directement rattaché à Philippe qui avec toutes ses autres casquettes n’intervenait que rarement, ils étaient livrés à eux mêmes.
- Oui mais Claire, on ne va pas sans arrêt vous déranger … moi j’ai du mal à apprécier l’urgence des tâches à accomplir.
- on va refaire le point ensemble sur tous les dossiers et je pense qu’ensuite les priorités vous sembleront évidentes.
Mais avant, Patricia, un point sur le processus des augmentations individuelles pour les payes de Décembre ?